Quel mal décime le diable de Tasmanie?courrier internati

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Miss_Naty

Quel mal décime le diable de Tasmanie?courrier internati

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PROTECTION - Quel mal décime le diable de Tasmanie ? (courrier international, n° 750, 17 avril 2005


La moitié de la population du petit carnivore a déjà disparu, victime d’une forme de cancer transmissible par simple contact.




Faut-il inscrire ce symbole de la Tasmanie parmi les espèces menacées ? - Photo :Bios

Geoff King voit beaucoup de combats au moment du dîner. Car cet agriculteur du nord-ouest de la Tasmanie dirige le Restaurant du diable, une tour d’où les clients regardent les diables de Tasmanie dévorer les carcasses qu’on leur dépose. L’animal symbole de l’île, que Taz incarne dans les dessins animés [où il est opposé à Bugs Bunny et à Daffy Duck], est en réalité un charognard relativement timide. Mais, au moment du dîner et à la saison des amours, ces marsupiaux se livrent à des combats acharnés qui les ont rendus célèbres. Or cette violence risque aujourd’hui de causer leur fin – d’une façon particulièrement étrange.
“Il s’agit d’un cancer agressif qui progresse rapidement. Il tue l’animal en l’espace de six mois”, explique Menna Jones, zoologue à l’université de Tasmanie, à Hobart. On envisage encore plusieurs hypothèses pour expliquer sa propagation, mais certains éléments semblent indiquer que c’est en se battant que les animaux se transmettent directement les cellules cancéreuses. Les recherches se poursuivent sur ce cancer extraordinaire connu sous le nom de “maladie de la tumeur faciale du diable” (devil facial tumor disease, DFTD), et les biologistes ont ce mois-ci élaboré une stratégie pour assurer la survie de l’espèce.
Dans la DFTD, les tumeurs se développent sur la face et le museau de l’animal, et finissent par l’empêcher de se nourrir. Bien qu’elles aient été observées pour la première fois par un photographe animalier en 1996, ce n’est qu’en 2000 que le péril est apparu clairement : les études ont montré l’existence de cette pathologie dans tout l’Etat. En 2003, les autorités tasmaniennes ont débloqué 1,8 million de dollars pour accélérer les recherches sur la maladie. La Tasmanie avait perdu entre la moitié et le tiers des 150 000 diables qu’elle comptait il y a dix ans. Selon un rapport publié en janvier, la maladie touche désormais au moins 65 % du territoire de l’île. Et il s’agit peut-être d’une estimation basse : en l’absence de test de dépistage, les scientifiques ne peuvent constater l’existence de la DFTD que chez les animaux manifestement atteints. Au lieu de se reproduire quatre ou cinq fois au cours de leur vie, les diables n’ont plus le temps de le faire qu’une fois avant de succomber, explique Menna Jones. Bien qu’il n’y ait pas de menace d’extinction dans l’immédiat, les biologistes craignent l’“extinction fonctionnelle” des diables, qui n’assureront plus leur rôle d’éboueurs de la nature. Les éleveurs remarquent déjà que le bétail mort reste dans leurs exploitations au lieu d’être “nettoyé”, confie Nick Mooney, biologiste au ministère des Industries primaires, de l’Eau et de l’Environnement tasmanien (DPIWE). Sa plus grande inquiétude, c’est que les renards introduits clandestinement, qui ont été découverts sur l’île en 2001, occupent la niche écologique des diables.

Des stratégies pour sauver le pauvre animal

Pour enrayer l’épidémie, on s’efforce de protéger les animaux vivant en captivité – ils sont environ 70 dans les zoos du continent australien et 100 dans les parcs de Tasmanie. Rien n’indique pour le moment que ceux-ci aient contracté la DFTD. Les experts vont également capturer de jeunes sujets apparemment en bonne santé pour constituer un réservoir de population. Si ces animaux développent des tumeurs pendant leur quarantaine, on aura ainsi une occasion supplémentaire d’étudier la maladie. Enfin, les scientifiques vont expérimenter des stratégies destinées à enrayer la propagation de la DFTD dans la nature, par exemple isoler les sujets touchés pour protéger les populations saines avoisinantes.
Les scientifiques avaient d’abord supposé que la DFTD était d’origine virale – comme un certain type de pathologie qu’on trouve chez le chat et d’autres animaux. Mais c’est en vain qu’on s’est efforcé de détecter des particules virales dans les tumeurs. Les chercheurs se sont donc demandé si la transmission ne se faisait pas par les cellules cancéreuses elles-mêmes. “Les observations sur le terrain ne s’opposent pas à une transmission directe par morsure. Nous attendons les résultats des recherches en laboratoire”, déclare Menna Jones.
Ces résultats, bien que donnant à réfléchir, ne sont pas concluants pour le moment. Mais les tumeurs étudiées jusqu’à présent ont des anomalies chromosomiques identiques. Cela laisse entendre que tous les animaux atteints ont été touchés par la même lignée de cellules cancéreuses. “C’est l’hypothèse sur laquelle je parierais”, confie Jonathan Stoye. Ce virologue de l’Institut national de recherche médicale de Londres est convaincu par les observations génétiques.
On ne connaissait jusqu’à présent qu’un seul cancer se transmettant de façon similaire [le sarcome de Sticker], un cancer qui affecte les parties génitales externes du chien et se transmet quand les animaux s’accouplent ou se flairent et se lèchent mutuellement. Ces tumeurs canines présentent des caryotypes similaires qui permettent de supposer que ce sont les cellules cancéreuses qui transmettent la maladie. De fait, les expériences menées récemment par Robin Weiss, spécialiste en oncologie virale à l’University College de Londres, et Claudio Murgia, son étudiant, ont montré que ces tumeurs sont causées par une lignée unique de cellules cancéreuses transmissibles. Selon Robin Weiss, l’identification du profil des génomes nucléaire et mitochondrial des cellules cancéreuses de la DFTD permettra de confirmer si celles-ci appartiennent à une ligne unique de cellules transmissibles.
Si la DFTD se transmet exclusivement par contact direct, l’isolation des animaux malades constituera un moyen efficace d’enrayer la maladie. Mais, si le coupable s’avère être un virus, d’autres animaux pourraient être porteurs asymptomatiques, ce qui compliquera singulièrement la lutte contre la DFTD. Les chercheurs continuent donc à étudier les causes possibles – virus, toxine environnementale ou d’origine humaine –, explique Stephen Pyecroft, spécialiste en pathologie vétérinaire au DPIWE.
Le gouvernement de Tasmanie et les partis d’opposition se sont chamaillés pour savoir s’il fallait inscrire le diable sur la liste des espèces menacées. Avec les informations dont on dispose aujourd’hui, ce devrait être fait dans le courant de l’année. Inquiets, les Tasmaniens ont fait don de 50 000 dollars à la recherche sur la DFTD. Ils entendent faire en sorte que le diable ne subisse pas le même sort que l’autre animal emblématique de l’île [présent sur le drapeau du pays], le tigre de Tasmanie, aujourd’hui éteint.


Adam Bostanci
Science
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